Un nouvel espoir pour le futur

Tous deux marchaient désormais vers la clairière située dans la forêt. Pendant ce temps, il repensait aux derniers échanges qu’il avait eus avec elle. Ainsi, elle le trouvait courageux. Lui ne partageait pas ce point de vue car être courageux aurait été de combattre sans jamais recourir au golem de sang. Hélas, il ne l’avait jamais pu car ces adversaires étaient parfois bien plus puissants que lui ou ses compagnons. Finalement, il se dirigeait lentement vers le destin de tous les hommes de sa famille. C’est d’ailleurs une partie de cette « malédiction » qu’il évoqua à la gardienne.

- « Mon père m’a enseigné l’art des invocations à partir de mes six ans. Notre famille offrait à la famille royale du pays des invocateurs qui devaient protéger tous les habitants du royaume. Mon père était le capitaine des dragonniers et sa puissance était telle qu’il devint une légende admirée de tous. Hélas, cela ne l’empêcha pas de mourir face à ces agresseurs en recourant au golem de sang. Ce fut d’ailleurs la fois de trop… Tout comme mon grand-père ou mon arrière-grand-père, chaque homme de ma famille est mort pour avoir trop utilisé l’invocation du golem. J’ai l’impression qu’aucun de nous ne peut échapper à son destin mais ceci se terminera avec moi car je n’ai pas d’enfant. En tout cas, je ne suis pas courageux comme vous pouvez le penser. Le courage aurait été d’être suffisamment puissant pour être en mesure d’affronter les choses sans recourir à cette créature de légende. » lu avait-il dit avec un visage relativement grave.

L’elfe avait ensuite ajouté qu’elle n’avait jamais rencontré quelqu’un comme lui. Il la savait sincère et était particulièrement touché par ses mots même s’il ne le montrait pas totalement. Il se contenta de faire un petit hochement de tête accompagné d’un sourire pour lui montrer qu’il la remerciait.
Finalement, il l’observa de manière discrète en jetant un coup d’œil furtif lorsqu’ils quittèrent le cimetière. Il la vit ainsi regarder vers le ciel et bouger les lèvres comme si elle parlait. Elle était souriante et ceci l’étonna au vu de l’endroit d’où ils sortaient. En tout cas, cela montrait vraisemblablement le chemin qu’elle avait parcouru depuis la mort de sa famille.

La clairière était proche à présent et traverser la forêt n’était pas sans raviver certains douloureux souvenirs en lui. Ainsi, il repensa aux nombreux combats qu’il avait mené dans ce lieu en proie aux flammes de manière continuelle exceptée lorsque la pluie daignait faire son apparition. Au-dessus des cimes, il avait mené bon nombre de combats aériens sur le dos de son dragon face aux créatures volantes adverses. Certaines d’entre elles étaient des dragons, des oiseaux géants voir même des monstres mythologiques et, étant l'unique dragonnier de l’île, il avait dû leur faire face seul dans les airs tandis qu’un soutien au sol venait parfois le tirer de situations périlleuses. Une nuit, personne ne vint pourtant lui prêter main forte et cet événement, il ne pourrait jamais l’oublier. En effet, ce soir là, il portait dans ses bras un petit bébé âgé d’à peine 1 an et dont les parents avaient trouvé la mort quelques heures auparavant sur un champ de bataille. Zane avait alors remarqué l’enfant qui pleurait au milieu des cadavres et il s’était élancé pour le secourir. Ceci n’avait pas échappé à ses ennemis qui s’étaient lancés à sa poursuite presque immédiatement après. Sur le dos d’Hakouryo, le dragonnier était le plus rapide mais le prix de cette vitesse fut le manque d’attention sur ce qui pouvait se dérouler au sol. Ainsi, le gardien n’avait pas vu que dix démons se trouvaient cachés dans la forêt et guettaient quiconque s’approcherait d’eux. Ils avaient alors usé de leurs pouvoirs et ainsi projeté des boules de feu qui frappèrent le dragon de plein fouet avant qu’il ne s’écroule dans les arbres qui craquèrent sous son poids. Le gardien avait serré l’enfant contre lui et ce dernier s’en était donc sorti indemne, ce qui n’était pas le cas pour Hakouryo dont le flanc était perforé par une grosse branche et pour le dragonnier dont la jambe droite était cassée suite au choc subi à l’atterrissage. Zane fit alors face à ces adversaires mais le combat semblait presque perdu puisque sa jambe l’empêchait de bouger comme il l’entendait et car il lui fallait un bras pour tenir le bébé. Pointant sa lance de la main droite, il commença à fendre l’air afin de faire reculer ses adversaires. Ces derniers n’étaient pas des plus vifs et malgré ses handicaps, il parvint à en vaincre trois de manière séparée mais les sept restants le tinrent en tenaille en s’élançant tous sur lui en même temps. L’un d’eux le frappa violemment dans le dos et ceci lui coupa la respiration tandis que du sang s’écoula de sa bouche. Malgré cela, il ne plia pas et parvint à défaire trois adversaires de plus. Les survivants s’unirent et concentrèrent leur énergie en une seule et même boule de feu qui fut projetée sur le dragonnier qui, faute de pouvoir esquiver à cause de sa jambe droite, s’était retourné et avait fait de son corps un bouclier pour défendre le bébé.
La chaleur lui brûla littéralement le dos et son cri de douleur se fit ressentir à travers toute la forêt. A demi-conscient, il ne parvenait plus à tenir sur ses jambes et s’écroula au sol tout en continuant de protéger l’enfant. Ce dernier représentait l’espoir de la génération futur et il ne pouvait en aucun cas le laisser mourir sous les coups de ces monstres. Il le posa alors sur le sol et se tint prêt à un nouvel assaut contre ses agresseurs. Il concentra donc toutes ses forces afin de ne pas vaciller sous les effets de la douleur et c’est ainsi qu’il s’élança contre eux, courant pas à pas tandis que sa jambe lui faisait si mal qu’il aurait pu en perdre connaissance sur l'instant.
Quelques secondes s’écoulèrent avant que l’affrontement ne prit fin. Au sol, les cinq monstres gisaient dans leur propre sang tandis que Zane se tenait debout avec sa lance dans la main tandis qu’une autre lui perforait l’abdomen. Son regard était tourné vers le petit être qui pleurait sur ce sol où la pluie s’écoulait depuis quelques instants désormais. Le dragonnier marcha vers lui et le prit dans ses bras avant de prendre Hakouryo qui, inconscient, avait reprit sa forme initiale. Il avait alors traversé toute la forêt avant de rejoindre les survivants de l’île et il ne pouvait dire aujourd’hui combien de temps il avait passé avant de trouver ceux qui les secoururent. La suite ? Et bien, quelques heures à peine après son arrivée dans le temple de Stellae, il repartit pour tenter de repousser un nouvel assaut des démons… Par la suite, il avait revu le bébé à de nombreuses reprises et c’était notamment pour que cet enfant ait un avenir que lui et les autres survivants combattirent. Ils échouèrent dans cette quête…

Tous ces souvenirs étaient remontés à la surface alors qu’ils étaient à l’endroit même où il avait combattu pour protéger le bébé. Il s’était ainsi arrêté sans dire un mot et avait prit une poignée de terre dans sa main avant de la déverser sur le sol tel un sablier. Tous ses souvenirs lui firent comprendre de nouveau à quel point sa mission était importante. Peu importe les épreuves qu’il devrait traverser, il devait à tout prix changer le destin de ce monde et de cette manière, cet enfant qui naîtrait aurait enfin la chance de pouvoir s’épanouir dans un monde où les démons ne le menaceraient plus.

Quelques instants plus tard, tous deux arrivèrent dans la clairière. Le temps se prêtait à la détente mais il lui serait à présent difficile de pouvoir chasser ses souvenirs. Toutefois, il existait bien une solution qui pourrait marcher comme ce fut le cas dans le passé. Si Lessien jouait de la flûte ou de sa harpe, alors peut-être que ses pensées pourraient être plus légères.
Il s’assit alors dans l’herbe tandis qu’Hakouryo se tenait toujours sur son épaule. Son regard était quelque peu perdu mais il faisait tout pour ne pas se laisser aller. Il ne le devait pas car cela risquait de le compromettre et il ne pouvait pas encore dire toute la vérité à la gardienne. En tout cas si lui ne pouvait pas tout dire, il voulait apprendre et construire.

- « Lessien, je ne sais pas si vous connaissez personnellement tous les gardiens d’Ynis Witrin mais j’ai l’impression que la plupart d’entre nous sommes des personnes agissant seules et dont le passé nous poursuit. Parfois, j’ai peur que nous soyons condamnés à la tristesse et que nous ne cherchions pas à nous en sortir. Si je veux créer une famille de gardiens, ce n’est pas uniquement pour sauver le monde mais aussi pour que nous puissions enfin vivre des jours meilleurs. Je veux tous vous voir sourire et être heureux. » lui avoua-t-il avec conviction.

Le vent soufflait légèrement sur la clairière mais de manière suffisante pour faire voler ses cheveux qui masquaient partiellement ses yeux parfois. Il ne savait pas si l’elfe comprendrait où il en voulait en venir mais il tenait à lui parler de tout ça. En effet, il avait constaté que bon nombre de gardiens vivaient dans une souffrance dont ils ne parvenaient pas à se détacher, c’était le cas de Linoa notamment. Créer une famille, une unité d’individus liés les uns aux autres pouvait peut-être remédier à cela. C’est ce en quoi il croyait en tout cas.

- « Je pense que vous serez celle qui, à sa façon, unira davantage ces personnes car vous en avez la capacité. Vous êtes celle qui parle directement à l’âme à la fois par la télépathie mais aussi par la douceur et la musique. Vous êtes aussi celle dont les mains peuvent dessiner des sourires à des visages qui n’en arborent plus. Tout cela, vous pourrez probablement le prouver à tous. » lui dit-il en la regardant fixement avec un sourire se dessinant sur son visage.

Zane croyait profondément en ce qu’il disait vu qu’il avait assisté à tout cela par le passé. C’était dans ces aspects qu’il voulait à présent se replonger et c’est ce qui expliqua la demande qu’il fit ensuite.

- « Vous serez t-il possible de jouer une mélodie ? J’aimerai entendre jouer celle dont les mains me semblent capables de danser sur un instrument afin d’en sortir un son pareil à la caresse du vent. » lui dit-it telle une requête qui lui tenait particulièrement à coeur.

Le dragonnier, tout comme son petit compagnon, attendait désormais la réponse de la gardienne.

Invité

Durant le chemin qui les menait à la clairière, cet endroit un peu reculé dans la forêt, Zane raconta à Lessien qu'être invocateur du golem de sang était une sorte d'héritage. Tout enfant était invocateur, et il raconta également que tous ses ancêtres étaient morts en usant du golem de sang une fois de trop. Il ajouta également que sa définition du courage était qu'il n'aurait pas du utiliser le golem de sang pour être courageux. Cette vision, l'elfe ne la partageait pas totalement. Il était vrai qu'il aurait été très courageux de ne pas invoquer le golem de sang, mais Lessien trouvait courageux le fait qu'il l'utilise en sachant qu'il allait mourir. Aussi, elle lui exposa son point de vue, en toute franchise, et en douceur bien sûr.

* Ma définition du courage dans une telle situation n'est pas celle ci.
Pour moi, votre courage est d'invoquer le golem de sang pour sauver des gens, car je ne peux douter que si vous l'invoquez, ce n'est pas afin de réduire nos forces, à nous, les défenseurs de l'île.
Aussi, ce que je vois en vous, le courage que je vois en vous, est celui du sacrifice.
Puisque vous me dîtes vous même que vous savez de quelle manière vous allez mourir, vous pourriez être un lâche, et décider de ne pas invoquer le golem de sang, qui vous coûte tant, et donc, décider de ne pas défendre les innocents ...
C'est donc le courage du sacrifice que je vois. Vous savez que vous allez mourir ainsi, même si je ne vous le souhaite pas, vous êtes bien trop jeune pour mourir, et vous avez encore du temps devant vous, mais pourtant vous ne renoncez pas.
Vous me paraissez donc courageux, et également très déterminé. *

Lessien ajouta un doux et chaleureux sourire à sa dernière phrase, pour lui témoigner toute sa sincérité, et lui montrer ainsi qu'elle croyait en ce qu'elle disait, qu'elle le pensait, comme tout ce qu'elle disait d'ailleurs. Sa franchise pouvait se lire dans ses yeux, et dans son sourire, tant elle désirait qu'il la croit. Elle ne pouvait laisser Zane passer pour quelqu'un de peu courageux puisqu'il invoquait le golem de sang comme aide. Aussi, elle ajouta une petite phrase, comme pour montrer qu'elle croyait en lui.

* Et puis, si c'est comme cela, alors nous sommes tous des poltrons d'utiliser nos pouvoirs. *

Continuant à marcher, ils arrivèrent tout près de la clairière. Zane fit alors quelque chose qui étonna fort l'elfe. Le jeune homme paraissait absent, et il prit une poignée de terre, pour la faire se déverser sur le sol, mouvement qui lui fit immédiatement penser à un sablier. Serait-ce une évocation du temps qui s'écoule ? Mais pourquoi donc penser ainsi ? Pourquoi ramener chacun des faits et gestes des personnes à des évocations ? Peut être tout simplement parce qu'il se pouvait qu'inconsciemment, on réalise des actions trompeuses sur ses états d'âmes, ou révélant ce à quoi l'on pouvait penser ...

Mais elle ne fit rien, et resta à ses côtés, attendant patiamment qu'il revienne avec elle, car il semblait réellement parti ailleurs, dans un monde qui était inconnu pour l'elfe. Une pointe de curiosité s'éveilla en Lessien, qui se demanda ce à quoi pouvait bien penser Zane. Si elle n'avait pas autant vécut, et n'avait pas autant de principes, elle aurait été tentée de s'immisser discrètement dans son esprit, pour en découvrir les mystères, mais c'était une action qu'elle était incapable de réaliser, tant elle avait de respect pour le jeune homme, et également parce qu'elle savait que s'immisser dans son esprit pourrait faire perdre toute la confiance que Zane pouvait avoir pour elle en ce moment même, étant donné qu'elle lui avait dit qu'elle ne lirait pas dans ses pensées.

Une fois arrivé à la clairière, Zane paraissait encore un peu perdu, mais Lessien ne put s'empêcher de penser qu'il faisait tout pour ne pas le montrer. Et c'était compréhensible pour elle, car, ignorant le passé du jeune homme, elle pensait tout simplement qu'il devait s'être passé des évènements dans cette clairière, peu plaisant pour lui. Bien sûr, elle ne connaissait pas la véritable nature des pensées du jeune homme, mais elle ne le saurait que s'il lui disait tout, car elle ne pouvait lire dans ses pensées.

Elle s'assit sur l'herbe, et inconsciemment, elle fit naître quelques petites fleurs autour d'elle, ces petites fleurs que l'on trouvait parfois autour des routes, ces petites fleurs que l'on ne trouvait pas dans les jardins, tels que les paquerettes. Elle fit ainsi pousser plusieurs fleurs, sans vraiment y penser. C'était souvent quelque chose d'habituel chez elle, et surtout en pleine forêt, dans son élément. De plus, plus profondément dans la forêt, mais pas si loin de l'endroit où ils étaient assis, se trouvait un endroit que personne n'avait jamais visité, entourés d'arbres très ressérés, et qui ne s'écartaient que lorsqu'elle était là. C'était en quelque sorte sa petite cachette, le coeur même de la forêt, là où elle passait nombre de jours à méditer, à se lier à la nature, à renforcer ce lien déjà si fort entre elle et la nature.

Elle jetta alors un regard au jeune homme, qui semblait être un peu sortit de ses pensées, ou du moins juste assez pour pouvoir lui parler. C'est alors qu'il s'adressa à elle, lui disant que la plupart des gardiens de l'île agissaient souvent seuls, et qu'ils étaient en proie à un passé qui les poursuivaient. L'elfe ne pouvait ni confirmer, ni contre dire Zane, puisqu'elle même connaissait la nature de sa tristesse, son passé. Pour ce qui étaient des autres gardiens, elle ne les connaissait que très peu ... Pour tout dire, ce qu'il disait était vrai, beaucoup agissaient seuls. Elle même était de ceux là, ne s'étant jamais vraiment mélangée aux autres, peut être tout simplement parce qu'elle se considérait elle même comme inutile aux autres, et même parfois rejettée en raison de son don de télépathie ... Aussi, elle le lui fit savoir, comme pour répondre à une question qui aurait été dissimulée.

* Non, je ne connais pas spécialement les gardiens de l'île, et c'est bien là un grand tort, je le reconnais.
Je ne connais presque pas les nouveaux venus, mais surtout les anciens, ou du peu qu'il doit en rester aujourd'hui ...
Mais sachez que mon don de télépathie n'est pas vraiment apprécié de tous. Il est parfois assez difficile pour certains de penser qu'une télépathe se contentera de parler par la pensée sans lire celles de son interlocuteur.
Mais je ne peux vous contredire sur le fait que nous sommes pour beaucoup des personnes blessées puisque je suis de ceux là.
Je le sais, et pourtant, vous vous dîtes peut être que je ne donne pas l'air de vouloir m'en sortir, mais si tel est le cas, alors vous vous trompez.
Mais pour m'en sortir, je dois bien avouer que je ne le peux en étant seule ... Or je n'ai jamais trouvé aucun point d'accroche plus solide que celui qui me relie ici, et c'est peut être pour cette raison que je ne suis pas sortie de ma tristesse, même si je montre tout le contraire.
Mes seuls moments de faiblesse, vous en êtes l'un des très rares témoins, et peut être le seul vivant ... Je n'ai jamais dévoilé ainsi ma peine, car je ne peux douter vous m'ayez vu me recueillir sur leurs tombes ... *

Touchée par les paroles de Zane, qui lui dit qu'elle était celle qui unirait davantage les gardiens en raison de son art, elle ne put empêcher un sourire de joie contenue illuminer son visage, le rendant plus doux et chaleureux, et mais également plus heureux. Jamais elle ne s'était sentie aussi importante aux yeux de quelqu'un, et elle se sentait enfin utile à quelque chose, car elle savait sincère le jeune homme, même si cela faisait peu de temps qu'ils se connaissaient déjà.

* Je vous remercie pour toute l'attention que vous me portez.
Même si j'ai quelque difficulté à penser que je serai aussi importante dans cette famille que vous désirez tant créer.
Et j'espère être à la hauteur de la tâche que vous me confiez.
Je ne tiens pas à vous décevoir, car j'ai l'impression d'avoir quelque importance à vos yeux, même si, je dois bien l'avouer, je ne me sens pas vraiment utile en ce moment.
Mais quoique je puisse faire, je le ferai. *

En disant ceci elle acceptait cette famille, et disait vouloir en faire partie ? Certainement. Elle désirait adhérer à cette famille, elle ne pouvait s'empêcher de penser que cette idée était tout à fait réalisable, si tout le monde y mettait du sien. Un monde meilleur n'était donc plus une utopie. La rencontre de Zane lui redonnait un espoir dont elle avait perdu une partie, tandis qu'elle sentait l'approche des ombres, et elle ne pouvait que remercier le jeune homme pour ceci. Et le sourire dessiné sur les lèvres du jeune homme ne faisait que ré-affirmer ce qu'elle pensait, ré-affirmer cette impression d'une quelconque importance aux yeux du jeune homme ...

Alors, il lui demanda si elle pouvait lui jouer une mélodie. Ceci semblait être quelque chose d'important pour le jeune homme, car le ton qu'il avait employé lui faisait penser à une requête très importante, qu'il lui tenait à coeur. Ce qui paraissait presque anodin à l'elfe semblait être quelque chose de très important pour Zane, et ce fut justement la cause de son étonnement. Lessien acquiessa d'un hochement de tête et d'un sourire, désirant lui montrer qu'elle en serait ravie, mais sans le dire, se contentant tout simplement de le lui faire voir, de son langage à elle, comme pour qu'il la comprenne mieux à l'avenir.

Lessien prit l'instrument, une flûte de bois, très simple, mais semblant être taillée sans imperfections, comme pour en dégager un son des plus clairs. L'elfe ferma les yeux tout en portant l'instrument à ses lèvres, et la mélodie s'éleva, douce et légère, flottant presque dans l'air. Dans cette musique, elle laissait toute peine de côté, et laissait s'exprimer toute sa douceur dans une simple mélodie. Pour elle, pas de chansons tristes, que de la musique joyeuse et douce. Ses doigts se balladaient rapidement sur l'instrument, dans des gestes gracieux, comme s'ils flottaient sur la flûte de bois. Et le son qui s'en élevait était à la hauteur des espérances de l'elfe, qui, comme à chaque fois, ne pouvait que se délecter de la mélodie qu'elle jouait.

Après quelques instants, qui lui parurent une éternité douce et légère, mais en même temps quelques secondes très courtes, la mélodie se tut, et le dernier son qui s'échappa de l'instrument, doux et léger, sembla se prolonger et flotter quelques instants dans l'air, avant de disparaître. Lessien ouvrit alors les yeux, et éloigna l'instrument de ses lèvres, le gardant toujours en main, comme si elle s'apprêtait à jouer de nouveau. Alors, elle regarda Zane, un petit sourire sur les lèvres, le regard interrogateur, attendant l'avis de ses deux spectateurs ...

* Le courage du sacrifice ? se répéta-t-il.

La réponse de Lessien avait particulièrement attiré son attention. Il cherchait ainsi à voir si se sacrifier était vraiment un acte de courage comme elle le considérait à son égard. D’une certaine façon, elle avait probablement raison mais il ne voulait pas vraiment l’avouer car il gardait en lui les souvenirs d’un passé où il avait été trop faible pour sauver ceux qu’il aime. Et puis, il considérait qu’il y avait un revers non négligeable dans le sacrifice et c’est sur ce point qu’il allait s’exprimer, une fois arrivé dans la clairière, d’une voix posée et teintée d’une forme de tristesse dissimulée.

- « Se sacrifier, même si c’est pour les autres, est aussi un acte d’égoïsme. C’est du moins ce que j’ai compris avec mon expérience personnelle. Ainsi, ma mère souffrait terriblement de voir la santé de mon père se détériorer chaque jour davantage. Elle n’avait jamais osé lui dire d’arrêter de recourir à cet art car il était après tout le capitaine des dragonniers du roi et que ses invocations dissuadaient certains ennemis de lancer une attaque contre le royaume. Pourtant, un jour, elle finit par s’écrouler dans ses bras et à le supplier d’arrêter. Ceci m’avait beaucoup surpris car ma mère avait elle aussi un sens du sacrifice très développé puisqu’elle était la plus grande magicienne du royaume. Mon père, ému, ne put pourtant pas répondre à sa requête et il trouva la mort le jour même… Avait-il alors songé qu’il laissait derrière lui sa femme et un enfant en bas-âge ? Et moi, ne suis-je pas en train de reproduire la même chose ? »

Difficile d’évoquer de tels souvenirs relatifs à l’enfance d’autant plus qu’il ne parlait presque jamais de son père. Aujourd’hui, les mots de l’elfe lui firent repenser à tout ça, à ce « courage du sacrifice ». Il ne voulait pas lui montrer qu’elle avait tord et il était même touché par les compliments qu’elle lui faisait mais il voulait montrer l’existence d’un « revers de la médaille ». Toutefois, la répartie de la gardienne était considérable et elle avait taper juste en disant que si utiliser ses pouvoirs était une tare alors tous ceux qui le faisaient étaient des poltrons. Accompagné par sa sincérité et sa chaleur, cela faisait d’elle une « oratrice » capable de réconforter bon nombre de personnes. Il voulut alors la remercier de tenter de l’aider de cette façon.

- « En tout cas, vos mots sont loin d’être vides de sens et l’estime que vous me portez me fait du bien… Vous savez trouver les mots et c’est un talent certain, d’autant plus que vous les dîtes directement à l’âme de vos interlocuteurs. » dit-il en se référant à sa télépathie.

En lui répondant, il n’avait pas fait attention aux fleurs qu’elle avait fait naître tout autour d’elle dans cette clairière. Lorsqu’il les vit, sa surprise fut accompagnée d’un sourire. Posséder un don de ce type n’était pas ordinaire et il la respectait beaucoup de disposer d’aptitudes qui, contrairement aux siennes, ne se résumaient pas qu’à une utilisation en combat. Lessien disposait finalement de bons nombres d’atouts pour se faire aimer et adoucir le quotidien des autres. C’était ce en quoi il croyait et les moments qu’il passait avec elle le confortaient dans cette idée.

Elle lui parla ensuite d’elle de manière plus personnelle mais aussi vis à vis des autres. A ce qu’elle lui disait, il avait l’impression qu’elle se trouvait souvent seule. Il se demanda alors qui pouvaient êtres ces idiots qui refusaient son contact à cause de sa télépathie. Ces personnes ne voyaient-elles pas que Lessien étaient quelqu’un de confiance ? Si tel était le cas, alors c’était eux qui ne valaient pas la peine qu’on s’attache à eux. Finalement, il comprit qu’elle était forte mais souffrait du manque d’un « point d’accroche », or, c’était justement ceci que le dragonnier venait lui offrir avec son idée de créer une famille de gardiens. Ne voulant pas se répéter, il la laissa continuer à parler et vit son ton radieux en constatant qu’on lui donnait de l’importance. Voir cela lui faisait particulièrement plaisir car il avait ainsi l’impression de déjà corriger une erreur du passé : la solitude de Lessien. De plus, ces paroles semblaient montrer qu’elle acceptait désormais de se joindre à ces projets mais il décida de ne pas insister dessus. Il préféra simplement poursuivre en insistant sur le rôle qu’elle tiendrait mais aussi sur son désir de mettre un terme à sa solitude.

- « Ce point d’accroche que vous recherchez, je viens vous le proposer aujourd’hui ainsi que ma confiance. Je suis convaincu que vos qualités seront déterminantes pour notre moral à tous et tous ceux qui en douteraient ne seraient que des gens qui auraient peur de briser leur propre solitude. En tout cas, je vais tenter de vous offrir une vie différente de celle d’aujourd’hui. Dans cette existence, vous pourrez être vous-même et vous épanouir. Si je me trompe alors je vous paierai moi-même ce fameux bain dans les sources chaudes. » dit-il en riant.

Ce petit trait d’humour n’était pas là pour amoindrire ce qu’il avait prononcé auparavant mais juste pour apporter une petite touche de douceur pour venir quelque peu briser ce qui pourrait passer pour des propos trop solennels.

Vint ensuite un moment qu’il attendait particulièrement : celui où Lessien jouerait l’une de ces mélodies. Ainsi, alors qu’elle commença à souffler dans sa petite flûte en bois, il fut emporter dans ces souvenirs passés. Ceux où il se revoyait autour d’un feu de camp alors que la nuit tombait et que lui et d’autres survivants ne prononçaient plus le moindre mot car leurs pensées étaient bien trop sous le coup de tous ces massacres auxquels ils avaient assisté le jour même parfois. Dans pareils moments, Lessien venait jouer l’un de ses morceaux et tous l’écoutaient alors avec la plus grande attention. Ceci était bien l’un des rares moments où tous pouvaient s’évader un peu de leur quotidien. A sa façon, la gardienne cimentait les liens entre les survivants et leur offrait ainsi des moments qu’ils gardèrent dans leur mémoire. Ainsi, Zane n’oublierait jamais ce soir qui précéda la mort de son épouse… Ce soir-là, tous écoutaient la mélodie de l’elfe autour d’un feu qui leur avait au préalable servi à cuire leur nourriture et qui offrait ensuite sa chaleur alors que la nuit se rafraîchissait. Le gardien tenait Namibe, assise sur ses genoux, et l’enlaçait tout en observant la musicienne. Ils eurent ainsi tous l’impression de revenir plusieurs mois en arrière quand leur île n’avait pas encore été attaquée. Ce moment de douceur serait, pour certains d’entre eux, le dernier qu’il vivrait.

Repensant à toutes ces personnes, le dragonnier versa quelques larmes qu’il ne dissimula pas. En effet, il était absorbé par la mélodie et ne voulait pas s’en détacher. Peut-être que cela la surprendrait vu que son air se voulait enjoué mais il n’était pas parvenu à se retenir. Puis, quand le morceau fut terminé, il prit la parole tout en passant son bras sur ses yeux pour essuyer les traces de ses larmes.

- « Veuillez pardonner mon émotivité. Ce morceau était magnifique, vous êtes vraiment une grande musicienne. » dit-il en souriant.

A cet instant, Hakouryo poussa un petit cri, synonyme que lui aussi avait aimé la mélodie. Zane ne savait pas comment elle interpréterait ses larmes mais il ne revint pas dessus. Il se contenta simplement de lui répéter ses compliments car le morceau était très beau en lui-même, sa tristesse lui venait simplement du fait qu’il lui rappelait des souvenirs qui étaient douloureux. Ceci pouvait paraître paradoxal d’ailleurs car tous ces gens étaient en vie aujourd’hui mais il ne les avait pas tous revu et ne pouvait effacer son passé de sa mémoire.

- « Votre mélodie me conforte dans mon idée que vous vous exprimez de manière différente de celle des autres. Et ce n’est pas un mal vous pouvez me croire. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, vous n’êtes pas quelqu’un d’ordinaire. » lui dit-il en conservant son sourire intact.

A présent, il considérait qu’il avait assez parlé de lui, peut-être trop même et il voulait en apprendre davantage sur elle. Dans ce but, il lui posa une question dont il attendait la réponse avec une certaine impatience.

- « J’aimerai vous connaître davantage et si vous me le permettez, laissez-moi vous poser une question : avez-vous un rêve à accomplir ? Et si oui, lequel ? »

Répondre à une telle question ne s’improvisait pas et il savait que sa réponse lui en apprendrait probablement beaucoup sur elle.

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