Ynis Witrin: L'île cachée
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Âmes de toute etnies, hommes et femmes venus de tous pays... Rejoignez l'île magique d'Ynis Witrin......
 
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Namibe Stark
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Namibe Stark


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MessageSujet: Retour   Retour EmptyVen 30 Nov - 11:08

Le lourd crépuscule tombant sur le continent enrichissait les reflets mordorés du regard sanguin. A chaque nouvelle phase du cycle du galop de l’équidé, ces pupilles perdaient de leurs forces déjà ténues, sombrant plus profondément dans les lagunes de l’épuisement. Aux bonds agiles du cheval, elle heurtait avec des bruits sourds le cuir râpé, le menton dodelinant sur sa poitrine. Quel que fut le miracle qui la faisait encore tenir en selle, il fallait qu’il tienne deux journées de plus. Deux journées avant de pouvoir, enfin, s’effondrer en bonne et due forme.

Maintes lunaisons plus tôt, dévorées par les brumes rôdant aux abords d’Ynis Witrin, deux silhouettes massives s’enfonçaient dans la pénombre du continent. De cette échappée, la Chevaucheuse n’avait mis au courant qu’une personne. Dan Ryu avait été le seul qu’elle eut prévenu, abandonnant par là même ses prétentions au sein de la Guilde. Abandonnant l’île.

Obb ondulait, gigantesque créature, et, à ses côtés, le galop désordonné du cheval sauvage faisait tressaillir le corps tendu de la guerrière qui le montait. Ils avaient l’air de deux géants noirs, deux sillons dans les plaines interminables menant au nord. Nul dénivelé, juste ces étendues grisâtres, souillées de sang. La nature semblait presque apaisée, sous la faible lueur de l’astre nocturne. La cavalière avait prévu plusieurs semaines pour atteindre, au plus fort de l’hiver, sa cité. Fébrile à l’idée de retrouver un monde quitté des mois plus tôt, il fallut à Namibe que le Coursier prenne en main son âme pour qu’elle se trouve enfin rassérénée. Plusieurs semaines pour retrouver le givre et l’obsidienne. Plusieurs semaines pour retrouver en elle le monstre endormi.
De nuit, le voyage fut une chevauchée ordinaire. Il était nécessaire à l’alchimiste de sentir le vent se rafraîchir sur sa peau et dans ses poumons, de prendre conscience du trajet effectué de jour en jour. De jour en revanche, afin d’éviter les factions démoniaques qui sillonnaient le continent et ne pas perdre un instant à les affronter, la cavalière et le cheval s’offraient à la magie du Coursier pour pénétrer le monde de ses Ténèbres. Ils ne s’arrêtaient qu’à la traversée de villages humains, pour se procurer les vivres dont ils auraient besoin, lorsque ces villages se trouvaient sur leur route. Pour la plupart, ils avaient été réduits à l’état de ruines par les créatures vomies par les Enfers. Mais tenaces comme les rats hantant une ville austère, les survivants n’avaient de cesse de rebâtir, sur la maladie et la destruction, ce qui fut leur vie d’autrefois. Le froid glacial qui, au Nord, saisissait jusqu’à la moelle, rendait leurs efforts presque suicidaires, mais n’ayant plus rien à perdre, c’était volontiers qu’ils se portaient sur cette mort-ci plutôt que sur celle provoquée par le laisser-aller.
Namibe avait pour eux une admiration sans fond. Pour ceux qui ne fuyaient pas, se raccrochaient aux lambeaux de leur existence, pour croire encore un peu au rêve d’une vie passée. Elle s’en voulait de ne pas avoir pris la route plus tôt, et se trouvait lamentable de n’avoir su comme eux avoir la dignité de suivre le but qui aurait du être le sien depuis le départ. Le redoutable assassin avait dormi plusieurs mois, à la manière d’un fauve hibernant, alors même qu’autour de lui, les plus faibles faisaient leur possible pour résister à l’inertie. Il lui fallait mettre un terme à cette histoire qui déjà s’était par trop éternisée. Couper de son âme nécrosée ce qui avait pourri, repartir sainement ou mourir. Ces villages, nécrosés eux aussi, fleuriraient au printemps. C’est du moins la prière que Namibe adressa aux dieux de ces pauvres hommes.

Il leur avait fallu, à ce rythme là, deux lunaisons complètes pour enfin voir se dresser à l’Aube la majestueuse silhouette de la Cité. A cette vue, l’alchimiste ordonna une pause. Alors que le cheval tentait vaillamment de trouver de l’herbe brûlée par le froid à brouter et qu’Obb était parti chasser son petit déjeuner quotidien, Namibe, elle, restait assise, le regard détaillant chaque toit visible d’ici. Elle se souvenait de chacun d’entre eux, et imaginait sans peine les autres, le cœur étreint, muet et endoloris. Cette souffrance là, Obb lui-même n’y aurait rien entendu. En partant, elle ne s’était pas retournée, elle ne comprenait pourquoi qu’à présent. Pour ne jamais voir ces toits, le début de tout ce qu’elle était devenue, d’aussi loin. Garder intact en son âme ce qui avait créé l’assassin, l’alchimiste. C’était un moyen détourné de ne jamais avoir l’impression de ne pas pouvoir conquérir les hauteurs de sa Cité.
Que trouverait-elle là bas ? Namibe s’attendait, ou plutôt s’imaginait tous les scénarios possibles. Une ville fleurissantes, plus moderne et plus saine. Ce scénario là impliquait que les nobles hypocrites avaient fini par se retourner, à l’instar des Starks, contre leurs armes : contre les guildes. Elle envisageait également une ville entièrement ravagée. Lors de son départ, la Cité avait encore été épargnée par les attaques démoniaques, mais cette ville, finalement, n’était qu’un regroupement d’ambassades et il aurait été aisé à une armée démoniaque d’y semer le chaos. Les guildes étaient là, certes, mais si ces hommes étaient des combattants d’exception, ils n’en demeuraient pas moins des mortels à des lieues de la magie noire et de sa puissance. Cette idée désola l’alchimiste qui n’avait que trop pu constater l’impuissance des hommes face aux pouvoirs des démons qu’ils combattaient. Les yeux toujours perdus dans les toits, elle se sentit frémir. Certaines guildes enfin prétendaient à prendre le contrôle de la Cité, et Namibe n’aurait pas non plus été surprise de pénétrer, en franchissant les remparts, un domaine aux couleurs de la Guilde des Fauconniers ou encore de la Guilde Vipérine, autrefois rivale de la Guilde Blanche. Elle était liée, la plupart du temps, aux Starks, et Namibe les soupçonnait d’avoir donné à sa famille les informations qui firent tomber ses frères d’armes. Mais ce scénario était tout de même peu envisageable. Afin de justifier le massacre perpétrer, et ne point avouer que c’était par pure vanité qu’il avait ordonné l’anéantissement de la Guilde Blanche, tel qu’elle connaissait son géniteur, elle était persuadée qu’il avait dû prétexter vouloir démanteler la Guilde d’assassins la plus influente de la ville afin de montrer l’exemple aux autres, et de réduire les prétentions de chaque factions assassine de la Cité. Quelle guilde, après la chute de la plus solidaire, de la plus organisée de toutes, aurait pu ensuite prétendre prendre le pouvoir en ces murs ?
L’alchimiste tressaillit, quelle que fut l’évolution de sa cité après son départ, elle avait un but précis, et finalement, son seul espoir était de trouver son père vivant.
Elle se releva, remonta l’écharpe de satin noir sur son nez et rabattit la lourde capuche sur sa tête. Elle avait maquillé ses yeux de khôl noir lui aussi, histoire d’éviter un maximum d’être reconnue.

Aux portes de la ville, montée sur l’équidé, la cavalière s’était délestée d’une lourde bourse de pièces d’airain et de quelques rins d’or, pour fouler de ses sabots la neige brunâtre de sa Cité bien aimée. Elle avait prémuni le cheval du froid mordant, l’ayant couvert de couvertures de laine brunes et de cuir, ainsi que de bandages subtilisés à la Maison de Vie avant son départ, enroulés autour des articulations de ses jambes nerveuses et de ses sabots. L’animal, d’ordinaire particulièrement irascible, n’avait alors de cesse de renâcler et malmenait sa cavalière à coup d’écarts brutaux et de légères ruades. Celle-ci n’en faisait pas grand cas, toute entière à ces ruelles qu’elle redécouvrait. Chaque coude, chaque porte cochère meurtrissait tant son cœur, affaibli par des mois loin de son foyer, qu’elle le sentait sur le point d’éclater à chaque ceinture qu’elle perçait.
La Cité était bâtie en suivant des rayons réguliers. En cercle. Au fur et à mesure que ces cercles se resserraient autour de l’épicentre de la ville, le riche pavillon des ambassades, les bâtiments, toujours de cette pierre obscure et luisante, se faisaient plus hauts, plus effilés. Aux simples tours de gardes, disposées le long des remparts de la Cité, se substituaient petit à petit celles, plus riches et hérissées de flèches et de gargouilles ouvragées, qui dominaient les cartiers sous le joug de familles d’aristocrates. Les Starks, avec trois autres grands noms de la ville, étaient frontaliers au Pavillon, signe de leur richesse et de leur influence. C’était du moins le cas à l’époque de son départ.
Les choses avaient, semblait-il, beaucoup changé depuis. Namibe n’en revint pas de l’augmentation de la densité démographique de son domaine. De toute évidence, songea-t-elle, il n’y avait plus suffisamment d’assassins en ces lieux. Il ne s’agissait que de ce qui se passait à l’extérieur, cas s’il s’agissait d’une Cité aux somptueux et baroques bâtiments d’obsidienne, elle était aussi une Cité toute en catacombes et labyrinthes sous terrains. Ce royaume-ci était autrefois celui des guildes, et elle se demanda ce qu’il pouvait bien en être aujourd’hui…

Le cœur serré et anxieux, elle fut tirée de ses pensées par un sifflement qui l’interpella au détour d’une ruelle sombre. Elle y répondit d’un hochement de tête et y porta laborieusement les pas de son compagnon emmitouflé. Obb l’y attendait, tapis dans l’ombre. Elle lui avait donné le trajet à suivre pour ne pas perdre sa trace, via les toits verglacés mais déserts et les ruelles exiguës. La créature n’en verrait jamais de telles sur Ynis. Le monde qu’il découvrait dépassait de loin l’image qu’il s’en était faite dans l’esprit de Namibe. Cette Cité s’étendait sur des lieues, gigantesque. Le reptile semblait préoccupé, dardant sa langue sans arrêt. Désireuse de savoir ce qui lui arrivait, Namibe l’interrogea, mais n’eut en guise de réponse qu’une vague de froid glacé qui lui vrilla les tympans, si bien qu’elle manquât de tomber de sa selle. Elle comprit alors, se rattrapant de justesse au cuir mal ajusté, que le reptile souffrait du froid plus encore que le cheval, animal à sang chaud. Elle remédia au problème de son compagnon d’une vague de chaleur qu’elle fit naître au sein de son organisme, suffisante pour calmer le plus gros de ses souffrances. Il passerait la nuit dans les ombres de sa chambre d’hôtel, bien au chaud. Reprenant ses esprits grâce à l’alchimiste, le Coursier formula en elle une interrogation qui levait le voile sur l’agitation de sa langue fourchue. L’odeur… La Cité avait l’odeur de Namibe. De partout, son sens le plus fin, sensé le diriger, l’envahissait de la fragrance si particulière de sa Liée. Celle-ci eut un rire mal contenu, et corrigea le Coursier : ça n’était pas la Cité qui avait son odeur, mais bien elle qui s’était imprégnée, les années durant, de cette étrange fragrance de chair, de mort et de vice, figée par la glace. Si celle de la Mort était familière au Coursier, il découvrait à peine celle qui rendait Namibe envoûtante… Cette perversion de la chair que seuls les êtres en constante déchéance pouvaient posséder. Mais où une créature sauvage aurait-elle pu savourer le vice et ses liqueurs ?
Le Coursier ayant regagné ses toits, rassuré, ils se remirent tous trois en route, et bien vite gagnèrent un cartier, à mi chemin de l’épicentre et des remparts.

Namibe s’accorda un instant pour admirer la neige se teintant de reflets orangers alors que le ciel allait en s’assombrissant, noyant les contours des bâtiments de jais dans son obscurité. Finalement, après avoir confié à un garçon certifiant ses écuries douillettes son équidé et une nouvelle bourse rebondie, elle poussa la lourde porte de l’auberge où elle s’apprêtait à prendre un remontant.


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MessageSujet: Re: Retour   Retour EmptyVen 30 Nov - 11:09

La rumeur qui, dehors, n’était qu’un murmure taillé par les mugissements du vent était alors un brouhaha chaleureux, à en faire oublier le givre qui faisait luire chaque pierre de la Cité. Namibe ne se découvrit pas pour autant, et, le bas de sa cape effleurant le sol à en soulever des nuages de poussière visqueuse, traversa la pièce pour aller s’asseoir au comptoir. Par mesure de sécurité, elle ne prit une chambre que pour le soir même, puis commanda avec cela une corne de vieil hydromel. Elle tendit à l’aubergiste une corne usée dans laquelle elle n’avait plus bu depuis des lustres. Hors de sa Cité, y porter ses lèvres aurait été un supplice. Elle lui avait été offerte voila de cela des années, pas l’un de ses plus proches frères d’armes, à l’occasion de la première goutte d’alcool qui lui brûla le palais. L’homme à l’embonpoint généreux s’exécuta, puis revint auprès d’elle. Curieux, il s’enquit de la raison de cet accoutrement. Elle mentit, bien entendu, prétextant être originaire de contrées chaudes, et donc transie de froid en ces lieux. Au regard entendu qu’il lui servit en même temps que la boisson, elle su qu’il n’était pas dupe, mais les habitants de cette cité étaient assez sages pour ne point chercher à faire inutilement tomber les masques. De plus, les pupilles écarlates et le teint diaphane de la jeune femme étaient un avertissement suffisant pour contenter le plus acharné des curieux.
Elle termina son hydromel en paix, en en savourant la moindre aspérité due à l’âge. Elle en bu trois de plus, abandonnant son foulard déjà abaissé à la fin du quatrième. Elle avait beau être seule, sentir cet alcool si particulier, boire à cette corne chargée de souvenirs de beuveries fraternelles… et cela dans cette Cité qu’elle n’avait plus espéré retrouver un jour, diffusait en elle une dose d’euphorie telle qu’elle n’en avait plus savourée depuis des Lunes. Alors qu’après un soupir accompagné d’un infime sourire, elle tendait à nouveau sa corne à l’homme qui se demandait de quoi le foie de la demoiselle pouvait bien être fait, la serveuse l’aborda. Une fille osseuse, aux orbites enfoncées dans un visage saillant. Elle posa devant Namibe, dont les pommettes rosissaient à présent légèrement, une bouteille de vin vieux, alors que l’aubergiste laissait choir dans le même temps la lourde pièce de viande qu’elle avait demandé pour son compagnon qui, dehors, devait être transi de froid. La jeune femme signifia à la serveuse qu’elle ne vendait pas ses faveurs ce soir, et que quel que soit l’homme qui avait envoyé cette bouteille, il était mal tombé. La jeune femme répliqua d’une voix sombre qu’il s’était attendu à cela, et demandait juste à sa sœur de le rejoindre au fond de la salle. Alors qu’appelée par des clients bruyants, la souris abandonnait le chat, ce dernier pivota sur le tabouret tout en remontant le foulard d’un geste expert. Elle promena un regard suspicieux, mais embué par un début d’ébriété sur la salle, en quête de ce mystérieux « frère ».
Il était assis au fond, l’homme qui ne la lâchait pas du regard. Dans une ombre comme il était de rigueur pour le frère d’une telle créature. Il ne lui fallut pas deux battements de cœur pour reconnaître le vieux loup. Le second battement révolu, la jeune femme sentit l’organe voler en éclats tant son émotion fut violente. Elle se glissa, tremblante, de son haut tabouret, saisit sans y prendre garde bouteille et viande salée, puis traversa la salle en trébuchant pour s’immobiliser face à la table de l’homme. Le loup avait perdu de sa superbe, mais ses yeux dorés, eux, étaient ceux qu’elle lui avait toujours connus, perçants et pleins de sa vérité et de son savoir. L’assassin blanc laissa tomber tout ensemble ses effets à côté de la table, puis, heurtant cette dernière de sa hanche, plongea littéralement aux creux des bras de son ancien compagnon de mission. Ils n’échangeaient pas le moindre mot, se gorgeant l’un l’autre de leur odeur si similaire. Loup pressait sa petite sœur d’arme avec plus de fougue que le plus éperdus des amants. Quant à elle, la large main de l’assassin lui enserrant l’arrière du crâne, elle se contentait de l’inonder de sanglots de et ses tremblements. L’un comme l’autre, ils s’étaient persuadés d’être les derniers de cette guilde autrefois si grande, si puissante. Ils s’étaient convaincus de porter la charge de la mémoire… Derniers êtres à posséder en eux ce que les Starks avaient tenté d’annihiler. Et ils se retrouvaient, étreignant les fantômes de passés révolus, l’une de ces figures qui hantaient chacune de leurs nuits. Il y en avait donc un autre.

Loup desserra finalement son étreinte pour passer une main sur la joue de sa petite sœur. Le rouge des yeux de celle-ci semblait plus vif et animé qu’il ne l’eut jamais été. Leur nature, froide en public, reprenant le dessus, Namibe tempéra la fournaise qui brûlait dans ses pupilles, et se redressa pour s’asseoir face à lui. Elle essuya ce qu’il restait de larmes au coin de ses yeux de son foulard, avant de dénouer celui-ci pour l’ôter. Ainsi dans un coin retiré de la pièce, elle ne craignait pas les yeux indiscrets. Respectant pudiquement son émotion, le fauve en profita pour servir à la demoiselle de son vin râpeux. Issu d’une famille française, il en était friand. La maison de ses parents se trouvait en bordure d’un bois peuplé par des loups, dont il avait récupéré leurs attitudes, passionné par ces animaux, au combat mais aussi dans sa façon de voir la Guilde. Lui parlait plus volontiers de Meute. Après Daeniel, c’était de lui que Namibe avait appris l’essentiel de ce qu’elle devait savoir pour s’intégrer correctement, et se rendre utile à ses frères. Elle considérait la Guilde davantage comme un organisme complet que comme un vulgaire groupe de guerriers ayant prêté allégeance les uns aux autres.
Ils parlèrent un bon moment, à mots couverts afin d’éviter les oreilles indiscrètes. Alors que tous deux échangeaient nouvelles et interrogations, l’alchimiste observait le loup très attentivement. Son visage, plein et ferme autrefois, s’était creusé à une vitesse effarante, et ses mains, dépassant de ses manches sombres, s’étaient mouchetées de tâches de rousseur. Elle fut frappée par la fatigue que trahissaient ses traits. Elle ne devait guère avoir l’air plus fraîche que lui, après les derniers mois passés en voyage ou même sur Ynis, mais le vieux loup ne lui en dit rien… A croire que la proximité d’assassins parvenait à lui redonner un peu de sa contenance perdue.
Elle prit surtout des nouvelles de sa Cité, et découvrit bien vite qu’ici aussi, les invasions démoniaques avaient fait leurs affaires. Les plus fins des seigneurs du Malin avaient remplacé il y avait de cela quelques mois, les familles de nobles de la ville. Mais ils avaient surtout totalement désorganisé les guildes. Cela n’avait pas le moins du monde meurtri la population active, qui bien au contraire se félicitait de cette évolution des choses. Ceux des puissants mercenaires d’hier qui avaient survécu à l’invasion de la Cité souterraine avaient quitté les labyrinthes pour rejoindre les gens du commun, anonymes. Les catacombes en périphérie du centre étaient devenues des salons, théâtres de perversions et de manipulations pire encore que celles dont Namibe avait été l’actrice. Et pour diriger cela, des démons mineurs. C’eut été avec plaisir que la jeune femme s’y serait rendue, mais le loup laissa entendre que même un renard aussi téméraire et manipulateur qu’elle pouvait l’être n’en sortirait pas indemne. Les seigneurs du mal, sur le modèle des familles en surface, s’étaient établis dans les somptueux labyrinthes qui ancraient les palais de la surface en ces terres hostiles. Ce conte-ci désola l’alchimiste. Les démons avaient frappé la Cité à sa source même, l’investissant en profondeur, anéantissant les seuls véritables enfants qu’elle possédait. Cette ville était sans doute la seule où les meurtriers étaient davantage blessés que le commun par les forces du Malin.
En venant, Namibe avait prié pour les pauvres bougres croisés en chemin ; quelqu’un avait-il prié pour ses semblables ?

Dépitée, la jeune femme raconta quant à elle ce qui lui était arrivé depuis cette Aube endeuillée que lui aussi portait comme une rosette à son cœur. Les personnes qu’elle avait pu croiser sur Ynis lui furent détaillées. Du moins celles qui avaient de l’intérêt aux yeux de l’alchimiste, ce qui réduisait grandement leur nombre. Elle tenta de reconstruire par ses mots le monde saturé de magie dans lequel elle macérait. Qu’il était bon de voir que l’homme partageait ses sentiments au sujet de l’île… Elle sentit même un léger élan de compassion se glisser dans les yeux dorés du vieux criminel. Il insista sur plusieurs points particuliers, ceux qui hantaient d’ailleurs Namibe, comme capable sans qu’elle ne le formule de comprendre chacune de ses aspirations. La jeune femme se sentait bien, retrouvant dans leur entente, leur instinct combiné, ce qui lui manquait de sa guilde. Des êtres comme elle, qui fonctionnaient de la même manière… Et qui ne sauraient que fonctionner ainsi.
Bien qu’elle senti qu’il en avait envie, il n’insista pas davantage sur Ynis Witrin, et lui posa alors une nouvelle question qui, cette fois, glaça la jeune femme. Pourquoi donc était-elle là ? Le regard perçant du loup disait clairement qu’il avait déjà la réponse à cette question, mais il la posait néanmoins pour pouvoir en parler commodément. Elle marqua une pose, soudainement très sérieuse, puis, après une lampée de vin âpre, elle dit simplement vouloir « le » tuer. Elle devait venger leurs frères. L’homme, alors plus accablé encore par l’âge et la fatigue, poussa un long et profond soupir. Elle redoutât des réprimandes, ou encore une réflexion défaitiste. Cet homme ne devait pas la décourager ; elle n’abandonnerait pas, mais avait à tout prix besoin de son assentiment. Elle ignorait si c’était ce qu’il s’apprêtait à lui dire depuis le début, où si c’était son regard assombri qui l’y avait porté, mais le loup se contenta de lui demander quand est-ce qu’elle comptait attaquer Von Stark. Le rejeton de celui-ci lui fit part de sa surprise, à quoi l’assassin blanc répondit que la seule et unique raison qui expliquait qu’aujourd’hui encore, cet homme respirait, était que ça n’était pas au loup de le tuer, mais à Namibe Stark.

Le regard sombre de la jeune femme le resta, mais elle adressa à son vieux compère un sourire en coin. Elle aimait ce bain d’humanité. Elle aimait son frère et cette odeur qui ressemblait à la sienne. Une odeur que personne d’autre n’avoisinait, sur Ynis. Elle aimait ce regard doré qui comprenait tout. Elle termina sa coupe de vin d’une traite, puis la reposa devant l’homme pour glisser, difficilement, la corne à sa ceinture. Elle proposa à celui-ci de monter dans sa chambre discuter un peu plus, mais il secoua la tête en signe de dénégation. Il voulait la laisser savourer seule la nuit de sa Cité. C’était ses retrouvailles. Namibe le soupçonna plutôt d’avoir pris des engagements pour la nuit, et de lui dire cela pour la ménager. Elle esquissa un vague sourire, puis secoua la tête. Elle s’appuya à la table pour se relever, puis, prise soudain de vertige, s’agrippa à une poutre pour tenir debout. Elle avait bu, au long de leur conversation, beaucoup plus qu’elle n’en avait pris l’habitude ces derniers mois. L’homme laissa un rire lui échapper, glissant d’un air moqueur que ces prêtres avaient fait du renard un agneau de rituel. Après lui avoir assuré que ça ne serait pas un insulaire en robe qui l’égorgerait, l’alchimiste récupéra viande et sac, biens qui d’ailleurs lui parurent affreusement lourds, puis monta en direction de la chambre dont elle avait la clef pour la nuit.
Elle se laissa choir sur son lit, après avoir soigneusement verrouillé la porte de l’intérieur, puis dégrafa sa cape. Dessous, elle portait des cuirs, qu’elle délaça lentement, cuirs qui recouvraient une mince couche de laine aux mailles étroites. Elle ouvrit ces laines à leur tour, Ne portant plus qu’un corset sur une tunique en coton. Cette tenue là était celle qu’elle portait d’ordinaire en sortant sur l’île. Elle sourit à cette idée. Sa Cité était à des lieues de l’île sur bien des points. Plus grandiose, plus noire… Viciée… et par-dessus tout, glacée. La jeune femme ouvrit néanmoins la fenêtre, laissant la vague chaleur de sa chambre, créée par un petit brasero dans un coin, s’échapper. Elle appela un moment à sa fenêtre, avant d’entendre un bruit sourd dans son dos. Elle referma la fenêtre avec un sourire et un frisson, puis fit volte face pour voir Obb, recroquevillé dans un coin de la pièce. Il avait l’air, dans cette chambre, plus gros encore qu’il n’était. Il devait bien occuper à lui seul le tiers de la pièce. Une chance qu’il se déplace dans les ombres. Il aurait été simplement impossible de le faire passer pas la fenêtre sans cela. A nouveau, Namibe lui offrit une vague de chaleur salvatrice. Le reptile se détendit alors un peu, tandis que la jeune femme, se servant du brasero, emplissait la pièce d’une moite chaleur. Elle sortit de son sac la lourde pièce de viande et la jeta devant lui, lui indiquant qu’il ne pouvait chasser ici, et qu’elle lui achèterait chaque jour cette quantité de viande. Ils seraient rapides. Le reptile puisa en elle les souvenirs de la soirée, et s’intéressa au vieux loup. Collant alors à sa Liée une atroce migraine, il finit par se glisser dans un coin de la pièce où elle se disposa à dormir un peu.


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MessageSujet: Re: Retour   Retour EmptyVen 30 Nov - 11:09

Namibe, elle, ne ferma pas l’œil de la nuit. Le regard attristé, perdu au-dehors à travers la vitre embuée, elle se remémora quelques unes des centaines de missions qu’elle avait effectuées dans ces rues là. Ce monde, qui lui manquait tant, était à la fois si près d’elle et si loin qu’elle se sentait déchirée. Elle hantait les vieux décors d’une pièce clôturée depuis des heures. Nostalgique ? Oui, ici plus qu’ailleurs encore. La gueule de bois se succédant à l’inspection du reptile, la migraine ne décolla pas du crâne de la jeune femme, dont les yeux furent éblouis par le blanc soleil hivernal radieux qui s’élevait derrière les palais où se trouvait sa proie avant même qu’elle ne se rende compte de l’éclaircissement de la voûte céleste. Aveuglée, elle posa une main sur ses yeux avec un glapissement qui réveilla mollement le reptile. Le brasero, éteint depuis un moment, ne fumait même plus. Ses yeux rouges posés sur la jeune femme, il se demanda ce qui lui arrivait. Après s’être servi dans son esprit, il termina la pièce de viande dont il avait laissé une bouchée la veille au soir, endolori par la chaleur qui combattait le froid dans ses veines glacées. A peine eut-il terminé que l’on frappa à la porte. L’aubergiste venu réclamer les clefs, sans doute. La créature disparu dans une ombre, la jeune femme alla ouvrir. Elle n’avait pas eu faux. Tendant une bourse plus chantante que la précédente à l’homme, elle demanda cette fois le gîte et le couvert pour une ou deux semaines. Il y avait là-dedans de quoi payer un mois. L’homme ne fit aucun commentaire, et se contenta d’ajouter qu’on l’attendait en bas, le même homme que la veille. Elle sourit, hocha la tête. Au regard suspicieux de l’homme, elle se dit qu’elle ne devait pas du tout avoir l’air fraîche. Le miroir confirma ses peurs. Elle s’aida d’un torchon rugueux imbibé d’eau pour faire disparaître ce qu’il restait de khôl de ses pommettes cendrées, puis, blême mais plus correcte, s’emmitoufla dans les laines qu’elle avait abandonnées dans la soirée. Sa tenue n’avait plus rien de discret, mais à l’aube, il était rare que les lieux à boire soient peuplés. Elle y descendit donc plus à l’aise, les talons de ses bottes de voyage claquant sur le vieux parquet. Il était au comptoir, lui aussi plus détendu. Il avait pris le temps de se faire une toilette et s’était rasé. L’alchimiste, ses cheveux blonds en pagaïe, le rejoignit pour se glisser sur le tabouret à ses côtés. A voir les cernes qu’elle affichait, il n’eut pas besoin de lui demander quel type de nuit elle avait passé. L’homme commanda un hydromel doux, à quoi fit écho Namibe. Il lui fut cette fois servi dans une coupe, plus commode à cette heure ci. Le Loup était revenu pour obtenir une réponse à sa question de la veille. Elle ne savait pas encore que lui répondre. Elle avait d’abord besoin de savoir, à présent, quelle était la force des Starks. Loup lui conta alors de quelle manière sa famille faisait encore rempart face aux forces démoniaques. Son père avait à l’époque mobilisé des forces considérables, en majeure partie dévorées par le seigneur qui avait investi les catacombes de son palais. Von Stark se tenait à présent cloîtré dans une tour. Depuis la mort de son second et celle de sa fille bien aimée, disait-on, il n’avait plus eu d’autre obsession que de protéger la Cité des envahisseurs. On parlait désormais de l’homme avec un sourire en coin, mi-moqueur mi-attendri. Son père avait tout perdu du dragon. La jeune femme en fut abasourdie. La tâche lui avait donc été simplifiée par les démons. Elle ne souriait pas, concentrée, sirotant son hydromel en silence. Si ses yeux étaient ouverts, elle n’en voyait pas moins la plus somptueuses des tours de son père, au sommet de laquelle se dressait un majestueux dragon d’obsidienne. Chaque couloir, chaque salle lui revenait en mémoire. En bas, la salle de garde. Rudimentaire, aux murs épais et aux plafonds hauts. Au centre de celle-ci se dressait un escalier massif qui montait jusqu’en haut de la tour. Son père ne se trouvait sans doute pas tout au sommet. Il n’y avait là bas qu’une sale aux corbeaux, pleine de ces oiseaux messagers. Depuis toute petite, la jeune femme était terrifiée par ces oiseaux. Sa hantise venait certainement même d’eux. Ce fut le fond râpeux de son hydromel qui la ramena à la réalité du vieux loup. Celui-ci l’observait. Il avait compris d’où venait son mutisme, et pour cela l’avait respecté. Finalement, elle haussa les épaules. Elle attaquerait en montant, simplement, chaque étage, abattant une à une les résistances. L’homme soupira. Téméraire la petite alchimiste, elle n’avait pas changé. Trop téméraire. Lorsqu’il s’en inquiéta, elle se contenta de répliquer qu’elle n’était pas seule, et que quitte à mourir un jour, elle aimerait mourir avec un tel but. Elle savait que sa mort était proche, elle lui pendait au nez, au bout de la corde de l’alchimie. Prématurément, elle se sentirait tomber, succombant à l’une de ces crises, de plus en plus rapprochées les unes des autres. Elle trouvait cette mort là plus lamentable que celle que l’homme entrevoyait. Ils laissèrent passer quelques instants sans parler, puis finalement l’homme haussa à son tour les épaules. Finalement il fallait bien mourir un jour, et la mort au combat, pour un assassin, était bien la seule et unique gloire qu’il aurait jamais. Il voulait donc l’accompagner. Elle commença par refuser, mais l’homme n’en tint même pas compte et lui fit une nouvelle demande qui la glaça. Si hasard voulait qu’ils en réchappent, resterait-elle avec lui, dans leur Cité, ou repartirait-elle encore ? Elle ne sut quoi répondre, et le lui avoua. Son cœur désirait rester en ces lieux. Il était flagrant que bien que proche d’un but dangereux, elle était, sitôt passés les remparts de la Cité, redevenue un être entier. Un être fini. La Cité avait rendu à l’assassin ce qu’il avait perdu en fuyant la première fois. Mais les guildes n’étaient plus ici non plus et, mis à part ces toits, ce royaume quitté trop tôt peut-être, elle n’avait plus rien à faire en ces lieux. Peut-être pourrait-elle enfin respecter la promesse faite à Daeniel ? Sans compter qu’il y avait une autre promesse venue la lier à Ynis. Elle avait toujours, contre sa cuisse, la lame de Dan Ryu. L’homme avait fait voler son honneur en éclats pour les beaux yeux de la jeune femme, et l’idée de l’abandonner alors étreignait son cœur.
Enfin… Elle poussa un profond soupir et, posant une pièce sur le comptoir, se remit sur pieds. Elle devait commencer dès maintenant à repérer les lieux, pour prendre en compte les changements opérés depuis son départ. Elle n’avait pas droit à l’erreur. Son frère d’arme offrit de l’accompagner. Elle accepta puis monta se vêtir plus chaudement. Elle changea de tunique, pour une plus chaude, resserra par-dessus le corset de cuir noir, puis enfila, au lieu de la cape, un lourd manteau qu’elle avait roulé dans ses bagages. Elle remonta le foulard sur son visage. Dans ses mains, elle broya des cendres qu’elle glissa ensuite dans ses cheveux sur toute leur longueur. Désormais loin de leur blondeur pure, ceci ajouté aux cernes noircies par ce qu’il lui restait de khôl, elle était simplement méconnaissable. Elle redescendit ainsi, sous le regard approbateur de Loup. Le vieux frère et la petite alchimiste étaient de nouveaux unis pour une dernière mission… Ce que Daeniel pouvait lui manquer…

Une semaine durant, les professionnels firent des reconnaissances à la pierre et à la colonie de rat près. Chaque homme leur était connu, plus ou moins bien, et les faiblesses exploitables du bâtiment également. Cette semaine vit également la rencontre de deux êtres ayant nourrit l’un envers l’autre une certaine curiosité. Obb perçu l’odeur du loup. Celui-ci découvrit enfin de ses propres yeux le Coursier. Chacun représentant un monde propre et indépendant de l’autre. Obb incarnait ce que le futur réservait à l’alchimiste si d’aventure elle regagnait Ynis… Un être de l’ombre, impropre à la vie en pleine lumière. Loup était cet assassin, baignant dans un univers qui était sien, mais dont l’époque semblait révolue. Un ancrage dans ce que fut leur passé commun. La jeune femme les avait laissé se découvrir sans intervenir, prononçant parfois à voix haute une pensée transmise par le reptile. C’est à trois qu’ils mèneraient leur offensive. Obb devenu un membre de la Guilde Blanche, le temps d’un meurtre. La jeune femme, elle, préférait se concentrer sur leur mission. Elle s’y dévouait corps et âme, tentant d’empêcher son esprit de parcourir ses souvenirs. Elle avait trop peur de s’y noyer et d’en perdre toute volonté… Peur d’en finir, peur de mettre un terme à ce passé d’assassin. Elle avait pensé rester à jamais un assassin, et l’idée simple d’y renoncer la terrorisait. Ils n’en avancèrent que plus vite. A l’Aube du sixième jour après son arrivée, la petite fille aux cheveux cendrés et l’homme mûr avaient fait un relevé de tout ce dont ils avaient besoin pour mener à bien leur mission.

C’est avec des gestes lents que la jeune femme accrochait au Coursier les plates délicates qui étaient sensées la protéger de ses plumes. Presque tendre, elle y mettait un soin tout particulier. Comme si s’appliquer à cela lui conférait assez de concentration pour mener à bien la mission délicate qui l’attendait. De sa vie, ce meurtre-ci serait sans doute le plus périlleux. Elle avait eu beau se remettre dans le bain à une vitesse épatante, elle n’en demeurait pas moins épuisée par des nuits de veille, à regarder, inlassablement, ces toits depuis trop longtemps abandonnés. Durant cette petite semaine à arpenter les ruelles étroites de sa Cité, elle n’avait pas une seule fois pu grimper sur les toits. Elle avait eut peur d’être débordée par tant de souvenirs, peur de s’y offrir pour n’en plus jamais redescendre. Namibe avait toujours considéré que ces toits étaient le plus beau lieu pour mourir. Elle n’en avait pas le droit, pas le droit de mourir, pas le droit de se perdre à jamais dans un royaume dont elle ne reviendrait pas. Elle se l’était donc interdite. Mais la contrepartie de cette frustration était cette insomnie dont elle avait écopé. Quelques fois, elle avait pu fermer l’œil une heure ou deux, puis somnolait quelques instants dans sa chambre, mais elle n’en était pas moins passablement fatiguée. Elle avait également fait des réserves de produits rares que par chance, elle pouvait encore trouver ici après tout ce temps. Ceux là lui avaient cruellement manqué sur Ynis, et elle en emporterait, si le destin voulait qu’elle en réchappe. Les poisons déjà prêts, elle les avait glissés, comme autrefois, sur tout son corps, cachés adroitement dans les replis de ses vêtements. Elle était peu couverte. Le froid aussi contribuerait à la réveiller un peu, un coup de fouet qui n’était pas du tout du luxe.
Elle avait payé pour un bon bain à l’auberge, avait lavé ses cheveux ternis par la cendre, son visage avait retrouvé sa blancheur pure, et ses membres s’étaient délassés. Elle avait ensuite revêtu des chausses noires en coton, des bottes solides et légères, lui permettant de conserver beaucoup d’agilité et de stabilité, une tunique en coton épais sur laquelle elle avait lacé un corset de cuir brun ouvragé. Elle se devait de se présenter devant son père, après tout ce temps, dans ses plus beaux atours. Elle avait ensuite glissé autour de son cou successivement l’amulette de Winter et le collier d’améthyste enduit de drogues dures. Longues avaient été ces années durant lesquelles il lui avait fallu façonner et polir l’objet jusqu’à faire en sorte qu’il garde sur chaque perle une bonne dose de ses poisons. Il y avait autrefois parmi ses frères un homme à l’allure très délicate, il se nommait l’Orfèvre. C’était lui qui le lui avait appris. Cet homme était très étrange, froid, passionné par ses œuvres, il passait le plus clair de son temps dans un atelier, ou dans les tavernes, à échanger des pierreries contre divers services offerts. Lorsqu’il lui arrivait de combattre, il prenait, après immobilisation, un malin plaisir à « ouvrager » le visage de ses victimes. Il en faisait des œuvres d’art, prenant grand soin de leur donner un nouveau visage.
Un visage, dans le cahier que Namibe s’apprêtait à refermer…


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MessageSujet: Re: Retour   Retour EmptyVen 30 Nov - 11:10

Fin prête, son long manteau noir sur les épaules, elle grimpa sur le dos d’Obb. Son cheval, mieux préparé par l’écuyer que par elle-même, était lui aussi apprêté. Le loup les rejoignit sans tarder, et monta quant à lui sur l’équidé. Ils n’étaient pas discrets, dans les rues de la Cité. Du moins lorsqu’ils étaient immobiles. Le reste du temps, ils se servaient des ombres pour se déplacer plus vite. Ils parvinrent très vite au pied de la tour. Cette fois-ci, elle s’élevait avec plus de majesté encore qu’elle n’en avait eu une semaine durant. Pénétrer le domaine des Starks ne leur fut pas difficile, étant donné la déchéance dans laquelle l’avait plongé l’invasion démoniaque. La jeune femme intima à Obb de s’arrêter là, puis se tourna vers l’assassin qui semblait mal se remettre du trajet. Elle sourit. Il n’était pas aisé de se déplacer ainsi la première fois. La jeune femme se souvenait de s’être époumonée de l’instant où les Coursiers s’étaient mis en branle au moment où ils étaient arrivés. Sans un mot, elle mit pied à terre. Le vent glacé avait beau la meurtrir tout autant que ses compagnons, elle était tendue vers cet homme, là haut. Cet homme au regard flamboyant. Elle saisit la bride du cheval pour le conduire dans un recoin de la zone. Elle était déserte, pas de risque, ici, de se le faire voler. Il lui serait utile, sans doute pour… le retour. Déglutissant avec difficulté, elle hocha ensuite la tête en direction de loup. L’homme savait ce qu’il avait à faire. Il était un combattant hors pair, aussi lui faisait-elle confiance pour ce qui était de mettre en échec les hommes d’armes au brassard rouge. Elle s’approcha de lui, sans un mot, puis pris sa main pour la poser sur son cœur. L’homme, saisissant le message, lui glissa de sa voix grave qu’il était honoré d’avoir tenté à ses côtés de venger leurs frères. Il lui dit également qu’ils devaient se montrer digne de leur Guilde. Que la Guilde Blanche vivrait un dernier jour grâce à eux, et que celui-ci devait lui faire honneur. Finalement, après une puissante étreinte, il écarta sa petite sœur au regard enflammé de sa poitrine et, serrant son poing de toutes ses forces, lui sourit d’un air carnassier. Deux démons allaient mettre à bas la tour du noble Von Stark. Ce fut à elle de parler, pour une litanie à laquelle il fit échos…

« Le Vermeil, pour la Blanche Guilde… Que le sang coule pour nos frères »
Sur ces mots, elle bondit sur le dos du coursier et, avec un ultime regard à son compagnon, s’en fut dans les ombres de la tour.

L’homme resta immobile quelques instants, le regard perdu là où sa petite sœur d’armes avait disparu. Il était heureux d’avoir pu la revoir, heureux de ce qui allait se passer ce jour. Les hommes sur lesquels il porterait la main étaient ceux qui du fer de leurs lances avaient annihilé ce qu’il avait pu être. A son tour il les détruirait. Le plus possible. Son rôle à lui était de combattre en partant du bas. Combattre comme s’il devait s’agir de son ultime combat. Namibe, grâce aux pouvoirs de son Coursier, ne deviendrait visible qu’à mi-chemin dans la tour. Ils y feraient la seconde moitié en combattant jusqu’en haut. Aidée par sa monture le travail promettait d’être efficace, rapide. Sitôt parvenus jusqu’au Lord, le Coursier devait redescendre prêter main-forte à l’assassin. Le plan était bien réalisé, et chacun connaissait à la pierre près ce qui devait être sa scène.

Il se dirigea tranquillement sous la herse de la tour. Il y avait là quelques hommes. Trois plus précisément. Ils tournaient, appuyés à leur lance comme des pèlerins à leurs bâtons. Lorsqu’ils eurent le malheur d’ouvrir la porte, pour laisser passer une faction qui, à cette heure précise sortait chaque matin, ils furent renversés par un courant d’air noir dans une gerbe de sang. Ils venaient de faire entrer le renard dans le poulailler. Son petit renard. La porte ouverte, ils lançaient l’alerte. C’est alors que Loup parvint à leur niveau. Une main au fourreau de son épée courte, et l’autre masquée par les plis de son manteau brun, l’homme grisonnant au regard d’or leur demanda ce qui se passait. La panique leur ôtant tout sens critique, et toute suspicion, ils ne jugèrent pas utile de se méfier de l’homme qui, l’instant d’après, les avait tous trois immolés dans un rugissement impitoyable. La faction s’interposa, en vain. L’épée courte était, dans chaque assaut, suivie d’une griffe d’acier, enchâssée à son poignet droit, si bien qu’il était pratiquement impossible de parer à chacun de ses coups. Il ne lui fallut pas plus de cinq minutes pour pénétrer la tour. Alertés, et pensant devoir la panique qui régnait en bas à l’homme qui s’avançait paisiblement, le regard alerte et les armes ruisselantes de sang frais, les renforts se concentrèrent bien vite dans les premiers étages pour parer à l’avancée de celui qui devait être, selon toute logique, un démon.

Les assassins étaient bel et bien des êtres d’un passé révolu, n’appartenant plus qu’aux monstres et à une noblesse décadente. A chaque mort supplémentaire, Loup chuchotait le nom de l’un de ses frères. Il en laissa un à Namibe Stark.

Daeniel, pensait-elle inlassablement. Obb peinait à faire le ménage dans l’esprit embrouillé de sa Liée. Il ne leur manquait plus qu’un étage à gravir pour, enfin, pouvoir goûter au sang de ses hommes. La rumeur qui grandissait dans la tour entière était celle d’un démon semant le chaos en bas. Ils décidaient donc d’en finir avec celui qui était devenu le protecteur de la Cité. C’est alors qu’apparût au centre d’un étage empli d’une garnison déjà plus étoffée que dans les étages inférieur le véritable démon. Le renard dans le poulailler. Obb tourna sur lui-même, puis, sur invitation de sa maîtresse, s’élança avec la vivacité d’un serpent sur l’homme le plus proche. Dans l’élan, Namibe se jeta de sa monture, pour atterrir sur un genou. Dans son élan, elle sortit la lance livide, la faisant tournoyer de manière à créer autour d’elle un espace suffisant. Dans son dos, Obb faisait un vacarme fourni de râles et de sifflements furieux. La lance en joue, prête à attaquer, Namibe testait ses adversaires par des piques, de longue portée. Tout à coup, l’un d’entre eux poussa un glapissement et lâcha son arme avant de s’incliner face à elle. Les autres le regardèrent, perplexes. L’homme hoquetait, balbutiant son nom comme une prière. Oui, c’était bien elle. La petite Namibe. Elle ne voyait pas son visage, mais peu importait. Son brassard le condamnait. Nouvelle pique de la lance, puis un râle. L’alchimiste du forcer pour retirer la lame de la chair. Puis ce fut l’attaque. Tournant sur elle-même avec rage, elle virevolta, dansant une danse mortelle avec ceux qui oeuvraient pour sa famille. La question de cet étage fut réglée rapidement. Obb avait fait des dégâts considérables en très peu de temps. Cela faisait un moment qu’il réclamait de l’exercice, et celui que Namibe lui offrait lui convenait amplement. Il prit le temps de subtiliser un membre afin de se repaître de cette chair lorsque sur un ordre de la jeune femme, il se rua dans l’escalier central pour atteindre l’étage supérieur. Le même scénario se répéta ici. Le nom de la jeune femme avait couru sur les lèvres des hommes d’armes, qui ne savaient pas quelle attitude adopter face à elle. Pendant des mois, ils avaient redouté un retour de bâton, mais la peur avait fini par se dissiper.
A l’inverse de ces hommes aux instincts endormis, la combattante était animée d’une rage exceptionnelle. La sienne avait eu le temps de travailler, de mûrir, si bien qu’elle virevoltait comme un oiseau dans l’écrin de sang que chacun de ses coups dessinait autour d’elle. Obb de son côté se contentait de tuer à coups de griffes, de dents, ou d’impitoyables constrictions. Le massacre qu’il perpétrait, au seul son du crissement de ses écailles, fut si grandiose que la jeune femme n’avait pas tué dix hommes que déjà le restant de la garnison gisait en pièces sur tout l’étage. Elle ordonna alors au reptile de se rendre dans les étages inférieurs prêter main-forte au Loup. Elle devait terminer seule l’œuvre débutée avec le Coursier. Sans le moindre commentaire, si ce n’était un sifflement léger, celui-ci disparut dans l’escalier qu’ils venaient d’emprunter, alors que le regard de l’alchimiste se plongeait dans celui qui mènerait à son seigneur de père. C’est avec un calme souverain que sa semelle attaqua la première marche. Le dragon qui se tenait sur le toit de la tour frémirait de ce qui allait se passer sous l’ardoise.


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MessageSujet: Re: Retour   Retour EmptyVen 30 Nov - 11:11

Plus d’un an. Plus d’un an qu’elle n’avait plus vu l’endroit. Cette pièce-ci était richement décorée, affublée de dorures à outrance, les murs tapissés de portraits défraîchis. Elle était la salle où son père se recueillait, la plupart du temps. La salle où était entreposé le passé des Starks, les noms des hommes qui faisaient leur grandeur depuis des générations y étaient représentés. Cet étage, contrairement aux autres, n’était percé que d’une fenêtre. Mais quelle fenêtre ! Sa hauteur devait dépasser les vingt-cinq pieds, et sa largeur aurait permis le passage de deux cavaliers. Elle offrait sur la cité une vue imprenable.
Comme à chaque fois qu’il lui fut donné d’y poser son regard, l’alchimiste y été frappée par le dos, austère et sévère, de l’homme. Il était très simplement vêtu, ses cheveux blancs, coupés proprement, recouvrant le haut de ses épaules. Il y avait un fossé, tant dans leur attitude, que physiquement, entre cet homme et la jeune femme. Celle-ci avait les genoux fléchis, le dos arrondi. De semi profil à lui, elle dardait son regard écarlate, rageur, sur la puissante silhouette. A l’inverse, l’homme avait un maintient étonnant, son long dos massif tendu, les mains liées sur ses reins. Elle ne faisait pas le moindre bruit, mais, discrètement, fit naître autour d’elle une sensible aura de chaleur. Elle perçut alors une tension dans les épaules de l’homme. S’il n’avait pas du l’entendre il avait très certainement senti, en revanche, la chaleur. Namibe plissa les yeux, les dents serrées. Toujours sans un bruit, elle resserra ses doigts sur la lance. L’homme esquissa alors un geste. Réactive, la jeune femme se tassa un peu plus encore sur ses appuis. L’homme était puissant… Peut-être même plus qu’elle. Lorsque sa voix, grave et posée, retentit, la jeune femme frémit.
« Namibe Adelheid Stark »
Le regard écarlate de celle-ci s’assombrit.
« Vous pouvez m’appeler Namibe. »
Cette fois-ci, ce fut un rire, un rire désagréable, un peu dissonant. Elle n’en ignorait pas la raison… Depuis toute petite, son père s’était échiné à lui apprendre à se présenter en présence d’étrangers, ou d’autres nobles. Le prénom de la jeune femme était un honneur, un grand honneur qu’elle refusait. Il lui avait toujours répété qu’elle aurait du être fière de s’appeler Adelheid, puisque ceci signifiait « de noble rang », « de noble origine ». Et c’était ce qu’elle était, bien que cela ne fût en aucun cas pour lui plaire. A l’inverse, la jeune femme avait mis en avant le plus banal. Namibe n’était que le prénom de l’une des sœur de sa mère, morte en couche, que son père avait récupéré avant le déclin total de sa famille. Elle aussi issue de la noblesse, sa situation n’avait rien de la richesse et de la gloire des Starks. Son patronyme était inconnu depuis des décennies, son visage lui-même s’était effacé, n’ayant en rien affecté celui de sa seule et unique descendance. Namibe était une Stark.
« Adelheid… Tu es revenue auprès de ton père »
La jeune femme crissa des dents, à ce prénom qu’il articulait toujours avec précaution, presque avec tendresse. Au contraire, lorsqu’il l’appelait Namibe, elle avait comme l’impression qu’il s’agissait d’une menace, d’un coup de fouet, prêt à la saisir. Mais pour l’heure, le fouet de son père demeurait accroché à la ceinture de celui-ci et il se contentait d’insister sur la pathétique noblesse de l’assassin. Celle-ci n’avait pas baissé sa garde lorsque dans un volte-face rapide, l’homme plongea ses yeux d’un rouge vivace dans ceux de sa progéniture. Ce regard, toujours, l’avait dérangée. Elle avait toujours l’impression de le retrouver en apercevant son reflet. Elle déglutit, puis leva sa garde.
« Je suis revenue honorer la promesse que je vous ai faite »
L’homme esquissa alors un sourire narquois, puis haussa les sourcils.
« Je suppose qu’il ne s’agit pas de prendre ma succession, n’est-ce pas ? »
Elle ne prit pas la peine de répondre, et se contenta d’avancer prudemment un pied. L’aura de chaleur qu’elle créait grandit un peu, à présent sensible pour tous. Son père eut à nouveau un rire. Elle comprenait encore. Si Namibe était une pyromancienne puissante, face à son père, elle avoisinait tout juste la puissance d’un charbon ardent. Elle avait tout de même la prétention de lutter, aussi son pied d’appuis suivit. Elle venait de gagner quelques centimètres. L’homme ne prenait même pas la peine de se mettre en garde à son tour. Il leva son menton en sa direction, et produisit lui aussi un courant d’air moite venue effleurer sa fille.
« Alors tu veux me tuer ? » Sans perdre en contenance, alors que l’homme se mettait en marche vers elle, Namibe plissa les yeux avec agressivité. « Tu aspires à une erreur monumentale. Je suis le sauveur de cette ville, je suis son ultime rempart contre les forces du mal, contre les… ombres » La chaleur se fit plus désagréable, Namibe augmenta la sienne également, pour ne point perdre de terrain.
« Alors il est naturel qu’une ombre vienne réclamer des comptes… » grinça-t-elle, sombre.
L’homme s’arrêta dans son avancée, Namibe, elle, glissa à nouveau un pied prudent en avant, prostrée comme un loup approchant sa proie tout en se soumettant à elle en apparence. Loup… Elle ne devait pas encore se préoccuper de lui.
« Je n’aurais de comptes à rendre qu’à mon héritière » La jeune femme haussa un sourcil, puis glissa d’une voix sourde. « Je ne m’attendais pas à ce que tu te comportes avec honneur, je te rassure » Puis ce disant, elle bondit, vive comme l’éclair, sa lance virevoltant en direction de son géniteur. Celui-ci ferma les yeux et de cet air saturé de leurs énergies confondues, fit des flammes redoutables venues souffler la jeune femme. Repoussée plus loin, celle-ci roula sur le sol avant de se caler sur un genou. Une petite flamme demeurait sur son épaule. Elle l’étouffa avant que le fourbe ne s’en serve. « Tu ne crois quand même pas que tu as une chance ? » ricana-t-il. Elle ne se démonta pas, elle ne devait pas trop tarder, au risque d’être interrompue… Il fallait qu’elle le tue rapidement. Sans un mot, elle reprit sa position et recommença à avancer doucement. Son petit jeu pouvait sembler ridicule à quelqu’un qui n’aurait pas eu la sensibilité de voir où se situait, en réalité, le combat. Il se situait dans l’espace qui résidait entre eux. Dans cet air mobile, agité, gondolé par la chaleur qu’ils manipulaient, sans pour autant qu’il n’y ait de flammes. Et au plus elle avançait, au plus Namibe sentait sa chair s’empreindre de la puissance de son père. La sienne n’était même pas comparable. Von Stark, tout à coup, augmenta la puissance de sa chaleur, tout en vociférant : « Il faudra donc que je te tue ? Namibe Stark est déjà morte, ici de toutes façons. Adieu, fille » Celle-ci déglutit, juste avant que ne l’envahisse un torrent de flammes mugissantes. Elle libéra à son tour son pouvoir, juste assez pour se protéger. L’homme, excédé, augmenta encore sa puissance, ce qui arracha à sa progéniture un cri de douleur. Sa défense commençait à se percer, déjà. Déjà il y avait des zones où la morsure du feu s’emparait de sa chair. Il lui fallait faire vite si elle voulait avoir une chance. Elle se courba plus encore, des larmes de douleur traçant des sillons sur ses pommettes roussies, et poursuivit tant bien que mal son avancée. Ses reins commençaient à se couvrir de cloques, ainsi que ses épaules et que ses avant-bras qu’elle avait croisés devant son visage. Ses cuisses aussi étaient sur le point d’être livrées aux flammes. Mais elle ne cessait pas pour autant d’avancer, tentant d’augmenter, elle aussi, la puissance de sa pyromancie. Elle fut contrainte, au bout d’un moment, à créer à son tour des flammes, le regrettant, étant donné que cette pratique là consommait des quantités affolantes de son énergie vitale. Crissant des dents, luttant contre son père qui semblait, si l’on en croyait la tension qui enveloppait la jeune femme, assez surpris de la voir avancer en sa direction, elle gagnait, pas après pas, les coudées qui les séparaient tous deux. « Je suis le dernier dragon ! » Lança son père avant de souffler de ses flammes sa fille. Celle-ci fut propulsée plus loin, perdant toute son avancée sur le coup, roulant cette fois-ci jusqu’à ce que la rampe de l’escalier qui l’avait conduite ici ne l’arrête. Elle tremblait, les bras et le dos douloureux, et ne parvint pas sur le coup à se redresser. Son père, dont les flammes avaient disparues, s’approcha d’elle. Elle avait perdu sa lance dans son envol. Sa douleur était telle qu’elle ne sentit, entre deux gémissements qu’au dernier moment la main que son père posa sur sa nuque. Elle tenta de se redresser, mais il la retint fermement courbée, avant de resserrer ses doigts sur ses cheveux. Il la releva brutalement, la tirant par une bonne poignée de ses cheveux d’argent en bataille. Trouvant dans cette nouvelle douleur la force nécessaire pour tenir sur ses jambes flageolantes, la jeune femme se redressa, soutenue par les cheveux par son géniteur. Cette douleur là n’était rien à côté de celle provoquée par les brûlures, aussi retint-elle un glapissement de douleur, la gorge toute entière exposée à son père. Elle tenta de trouver une prise quelque part, puis finit par abandonner, les bras ballants. « Te voilà en bien mauvaise posture, ma fille » Elle déglutit, regardant avec une crainte mal dissimulée le visage inexpressif et osseux de son père. D’aussi près, elle remarqua à quel point il avait vieilli. « Je vais devoir te corriger » Elle sentit, plus qu’elle ne vit, son père saisir le fouet à sa ceinture. Il tira encore sur ses cheveux, manquant de la faire tomber, puis approcha son visage du sien. « Tu aurais dû rester morte »
Sur ces mots, il la propulsa à quelques coudées. A l’atterrissage, elle eut le souffle coupé. Sur le dos, savourant le contact glacé des dalles sur sa peau brûlée, elle s’étendit, trop endolorie et affaiblie pour bouger. Les pas de son père s’approchèrent, ses bottes claquant lentement sur le dallage. Un premier claquement, dans le vide celui-ci. « J’ai donné l’ordre d’en finir avec tes compagnons dégénérés à l’homme que tu as tué dans la roseraie » Elle se contracta, jamais elle n’oublierait cette Aube-là. Le second claquement vint, cette fois-ci, mordre profondément son ventre. Avec un cri de douleur, la jeune femme se cambra et roula sur le côté, protégeant son ventre. « C’était un second très efficace, il n’y avait qu’à voir avec quel brio il a exterminé cet amas de monstres qu’était ta guilde » Un nouveau claquement sembla déchirer son dos. Elle eut un nouveau cri, et se déplia pour commencer à ramper loin de l’homme. Celui-ci, tout en avançant, la fouetta à nouveau. Elle retomba sur le ventre, puis força sur ses avants bras, un rictus de douleur découvrant ses dents, et les sourcils froncés, pour se redresser et recommencer à se traîner loin de lui. « Vous n’étiez guère plus honorables que les démons qui hantent votre ancien royaume. Vous n’êtes plus que des ombres déchues, que des crevures. Vous étiez la peste de nos ruelles, sa plèbe, son fléau. C’est pour la Cité que j’ai fais cela, pour la nettoyer de toute cette moisissure dont votre présence la souillait. Le suis le Protecteur de la Ville je suis… »

Ce qui se passa alors, la jeune femme ne le comprit pas, et sans doute jamais ne le comprendrait. Alors que, tout en parlant, l’homme multipliait les coups de fouets, traçant de profonds sillons sur son dos, son ventre, ses épaules, ses jambes, portée par une haine sans nom, Namibe s’oublia…
L’énergie vitale qui d’ordinaire servait à fournir sa pyromancie était épuisée depuis un moment déjà. La douleur la laissait s’écouler avec le sang qui suintait sous les hardes déchirées de la jeune femme. Et pourtant, elle se levait sous le regard médusé de l’homme. Comme une marionnette aux fils invisibles, elle se redressait, les bras ballant sur les côtés. Les yeux clos, la bouche entrouverte, la jeune femme, qui n’était plus qu’haine et mort, fit face à son père. Elle avança, ou plutôt tituba en sa direction. Avec un rugissement, celui-ci la fouetta à nouveau, au visage cette fois. Le coup fit pivoter sa tête avec brutalité, dans une petite gerbe de sang vermeil. Il venait de tracer un sillon horizontal, barrant le haut de ses pommettes et l’arrête de son nez. Sans un bruit, sans une plainte, elle lui refit face, et avança, encore. Il la fouetta à la jambe, ce qui manqua de la faire trébucher, mais ne l’arrêta pas. Elle n’était plus portée par la vie, ni par les sens ou la douleur. Elle n’était plus portée que par une soif qu’il n’y avait qu’un moyen d’apaiser. Ne trouvant plus d’autre moyen de l’arrêter, le père déploya un tourbillon de flammes tout autour de lui, dans lequel la jeune femme pénétra, comme si les flammes qui léchaient sa peau n’étaient que caresses satinées. Elle rouvrit alors les yeux, et, petit à petit, ses propres flammes d’un blanc chatoyant luttèrent contre les sombres flammes du seigneur des lieux. Lorsque celui-ci la vit apparaître au travers de ses flammes, chassant celle-ci, il demanda quel était ce maléfice. La jeune femme ne répondit pas, son visage maculé de sang. Elle s’approcha de son père, jusqu’à frôler son torse. Le rouge des pupilles de l’assassin blanc luisait de reflets malveillants.
Un hoquet.

« Adelheid… »
Sur la pointe des pieds, elle approcha ses lèvres de l’oreille de son père.
« Appelle-moi Namibe…
… Vermeil pour la Blanche Guilde.
Tu t’es trompé, vieillard, je suis le dernier dragon.
»
Et le corps massif de l’homme chuta lourdement sur le côté. Il avait en plein ventre la dague ensanglantée de sa progéniture. A son tour, celle-ci s’effondra. Le retour à son corps fut violent, si bien qu’elle fut secouée d’une terrible crise, et de quintes de toux à en déchirer sa trachée. C’est dans cet état que, les multiples plaies creusées par le fouet à vif sur les dalles, elle se traîna jusqu’à la fenêtre qui avait été brisée par le souffle de leur affrontement. Se coupant les mains et les genoux, elle se hissa dehors, le froid glacial lui gelant le sang qui s’écoulait toujours.
Elle était sur les toits.


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MessageSujet: Re: Retour   Retour EmptyVen 30 Nov - 11:11

…………

Une dispute, des voix. Ces voix. Une musique, un instrument puissant, frère du vent. L’air est enjoué, vif. L’homme qui joue est un peu plus loin, assis sur une cheminée. Il est roux, et porte une longe cape verte. Il a d’épais favoris, un visage jovial… L’archet de son petit violon semble danser sur les cordes de celui-ci. A côté de lui, debout sur l’arrête du toit, il y a un autre homme, celui-ci porte un manteau noir, un manteau riche, d’aristocrate. Il a un monocle, et est armé d’une rapière délicate. Avec un accent à couper au couteau, un accent anglais, il laisse couler une remarque désobligeante sur la musique du premier homme. Celui-ci lui jette un coup d’œil à l’anglais et ricane. L’instant d’après, le britannique reçoit l’archer dans le postérieur. Il se tourne, avec un juron, vers le musicien qui à présent pince les cordes du bout des doigts, son archer ayant mystérieusement disparu. L’anglais lançant une remarque aux sujets des irlandais, le musicien se lève, et commence à le menacer en brandissant son violon comme un gourdin.
Cette petite scène se joue sous le regard abasourdi de la jeune femme. Ces deux hommes là étaient parmi ses frères d’armes les plus proches. Passant leurs journées à se battre, ils ne se séparaient pourtant pour rien au monde. Mais jamais, jamais ils ne sont montés sur les toits avant.
Un peu plus loin, elle aperçoit la silhouette décharnée, austère de l’Orfèvre. Il y a également, un peu plus loin encore, Loup, qui rôde d’un air attentif. Voyant les yeux écarquillés avec lesquels Namibe les observe, le musicien, sans lâcher le col de l’anglais gesticulant, lui adresse un large sourire plein de bonhomie.
« Mais qu’est-ce qu’ils font ici… ? »
« Et toi ? »
Deux mains se posent soudain sur ses épaules et les pressent, sans y déclancher la moindre douleur. Des mains pleines d’une douce chaleur. Elles se transforment en étreinte, une chaude, une douce étreinte pleine de l’amour fraternel qui brille dans les yeux de chacun de ses frères présents. Elle n’a pas besoin de tourner la tête pour voir le visage pâle de Daeniel, entouré par ses cheveux d’un noir d’encre, ondulant à peine. Elle n’a pas besoin de cela pour voir son regard, noir lui aussi, plus perçant que l’acier ou le diamant, son sourire énigmatique, ses épaules ciselées… Il se presse contre son dos, comme un baume venu soulager ses souffrances. La jeune femme s’abandonne à l’étreinte, observant toujours les quatre assassins qui lui sourient. « Merci ! » lui lance l’irlandais en agitant son violon. Les autres acquiescent, même l’Orfèvre, puis Daeniel se penche à son oreille et lui susurre « Le vermeil pour la Blanche Guilde… La Guilde meurt… » Un baiser, une chaleur dans son cou, et Namibe s’effondre sur le toit enneigé.

…………

Les cristaux de neige s’accrochaient à ses cheveux, se regroupaient dans ses vêtements, comme pour l’ensevelir doucement. Dans son esprit raisonnait comme le chant sourd d’un fantôme la mélodie du violon. Une hallucination, tout comme les sourires de ses frères. Elle s’abandonnait ici, sur ces toits où elle s’était promise de ne point mettre les pieds. Etait-ce à son origine qu’il lui fallait mourir ?



Les minutes s’écoulèrent, durant lesquelles elle n’eut pas la moindre conscience de ce qui se passait autour d’elle, pour qu’enfin une silhouette se dessine à ses côtés, dans la réalité cette fois. En bas, le Loup avait cédé à leurs adversaires, et c’est seul qu’Obb était venu chercher sa Liée. L’état dans lequel il la trouva l’alarma assez, si bien qu’il ne perdit pas de temps pour la hisser sur son cou, où la plate avait été décrochée par un coup d’épée bien ajusté. Il avait récupéré sa lance, sans trop souffrir de la puissance supposée l’habiter. Et c’est ainsi équipé qu’il redescendit les toits pour retrouver le bas de la tour.
Cheval, Coursier et poupée de chiffon s’en furent dans les ruelles sombres de la Cité.



Bientôt rentrés. Le Coursier s’était chargé des affaires récupérées à l’auberge, alors que Namibe avait été montée sur l’équidé. Obb les avait dirigés, ayant un bon souvenir du trajet qu’ils avaient effectué à l’aller. C’est au travers des ombres qu’ils traversèrent plaines et villages, pour rejoindre au plus tôt les abords de l’île d’Ynis.

[La suite sur le continent >>>> Elle s'effondre]
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